Joëlle Roy
Nous revoici dans les familles de la 18e et 19e. Rosita est la fille de Gérard Robitaille et Elsie Cloarec. Cette dernière était bretonne issue d’une famille ayant immigré au Canada pour se tailler une meilleure vie en venant travailler dans la forêt canadienne. Rosita est l’aînée de trois enfants. Plutôt rare les petites familles à cette époque.
Augustin, c’est tout le contraire. Ses parents, Austin et Éveline Marion, ont donné naissance à seize enfants et Augustin est le quatrième. Austin avait une belle voix et n’hésitait pas à la faire entendre. Les Jours de l’an chez ces Desroches résonnaient de chansons canadiennes françaises et irlandaises et chacun collaborait au répertoire avec leur talent respectif. Le dernier de ces 1ers janviers chez Éveline et Austin, ils étaient soixante-seize pour souper et veiller.
Augustin retient aussi des tounes moins joyeuses de ses années où une religion omniprésente et culpabilisante s’infiltrait dans tous les recoins de la vie quotidienne.
Chez les Robitaille, on se consacrait aux affaires. L’argent était rare et il fallait faire preuve d’ingéniosité pour faire prospérer à partir de si peu. L’argent pousse si peu sur une terre rocheuse. Madame Elsie a vite compris que les touristes bien nantis représentent une clientèle appréciable. Convoitée de ceux-ci, les paiements et les cadeaux aidaient la famille.
En plus, elle s’est dit que ces petits de la ville apprécieraient des vacances à la campagne. Elsie organise ce qu’on appelle aujourd’hui un camp d’été. Elle accueillait dix, douze enfants qui venaient jouer sur la ferme. On jouait dans la grange; on courait après les petits veaux… La plupart venaient de Toronto. Ces filles de la ville arrivaient avec plein de bandes dessinées. Quel plaisir de découvrir Archie et Lulu. Rosita a alors fait ses premières armes à s’occuper des petits.
On tirait aussi un revenu de la terre dont un tiers était du bois de corde. Et bien sûr, on connaît les jardins de Lafontaine dont le cannage permettait de passer l’hiver sans carence de fruits et de légumes.
Rosita et Augustin ont tous deux fréquenté l’école de Laurin. Les Desroches restaient juste à côté tandis que les Robitaille, dans la 19e, habitaient à trois milles. En belles saisons, on piquait à travers le bois mais l’hiver, les pères se relayaient pour les y conduire. Quand Rosita a commencé l’école, Augustin était déjà dans «le grand bord» (de 5e à 8e) tandis qu’elle apprenait à partir du «petit bord» (1ère à 4e).
Du haut de son bord, Augustin se souvient de Méranda Marchildon qui devait commencer sa carrière à dix-sept-ans. C’étaient surtout les Sœurs de Ste-Croix qui enseignaient. Rosita a aimé son élémentaire et déjà en première année, charmée par le beau costume des religieuses, elle voulait être enseignante et religieuse.
Augustin a de bons souvenirs de sa 7e et 8e sous l’enseignement de Sr Roger de la Croix, fille de Roger Brunelle. Puis il a poursuivi à l’école de Continuation compléter sa neuvième. Ensuite il prend la route de Papineauville où il fera son élément latin. Même s’il se plaisait à cette école, il est revenu définitivement après cette première année car l’argent manquait pour subvenir aux frais des études au loin. De retour à Lafontaine, il va travailler presque deux ans pour ses oncles Élisé et Herménégilde Marion à bûcher, principalement. Au mois d’août, il travaillera au tabac entre la 19e et la 20e.
Rosita, qui est rendue dans le grand bord, se prépare pour le concours de français avec un certain Viateur Laurin. De la fenêtre de l’école, elle zieute Augustin et trouve qu’il est bien vaillant et versatile à besogner à toutes ces tâches. Et, il n’est pas laid; au contraire…
Rosita aussi s’éloignera pour sa neuvième année. À Glen Nevis, près de Cornwall, se trouvait la meilleure école du monde, selon ses deux tantes religieuses. Rosita et Albertine Maurice étaient là au même moment. Si les études lui plaisaient, l’austérité et l’isolement lui donnaient le goût de revenir à la course. Rosita a enduré son sort toute l’année pour prouver à madame Unetelle qu’elle ne lâcherait pas les études pour être près de cet Augustin! L’école qui porte bien son nom, assure sa Continuation jusqu’à la douzième.
Augustin en a vite ras le bol de faire les gros bras de bûcheron et retourne finir son secondaire à Lafontaine. Avec sa sabbatique, ils n’avaient dorénavant qu’un an de différence dans les bancs scolaires. Est-ce qu’ils sortent ensemble? Augustin explique qu’à ce temps, on ne sortait pas! Il y avait le C.Y.O. (Catholic Youth Organization) pour un brin de vie social.
Il y avait aussi l’autobus scolaire. Augustin lui gardait une place dans l’autobus. Ce petit bonheur n’a pas duré car une bonne sœur a expliqué à Rosita qu’elle commettait un péché mortel! Qu’elle nuisait à la vocation d’Augustin! On se plie donc à l’interdiction jusqu’au premier coin de concession.
Les années de postsecondaires se passeront dans la Capitale. Augustin fait une année de fou à l’Université d’Ottawa où il s’inscrit à huit cours, surtout en mathématique. L’école normale sera le point de ralliement de leurs études. Après cette année à Ottawa, on rentre au bercail avec les qualifications pour enseigner. Rosita débute à Perkinsfield où elle se plaît beaucoup.
Augustin prend un poste à l’école Ste-Croix de Lafontaine où on cherche un homme pour venir à bout des grands jacks de 7e et 8e années. Pour enseigner quarante-deux gars, 3000$ pour l’année. On ajoute un boni de 300$ pour se taper l’heure de garde avant les classes et toutes les récrés avec les 320 enfants. L’hiver, il faut s’occuper de la patinoire avec l’oncle Constant Moreau.
Nos deux moineaux habitent chez leurs parents. Ils voyagent ensemble. Augustin a acheté une petite Renaud 5 qui les mènent soir et matin à leurs écoles. Après deux ans à Perkinsfield, Rosita rejoindra Augustin à Ste-Croix. C’est après cette deuxième année qu’ils se marient. Nous sommes à l’été 1960. Augustin est alors membre de la Patente, cet organisme secret qui combat la dominance anglophone. Très frustrant pour la jeune mariée de voir son nouvel époux quitter certains dimanches après-midi pour aller quelque part en réunion de quelque chose. Les enfants ne tarderont pas. L’aîné Luc fait son entrée dès l’année suivante. Claude suivra en 63 et le musicien, Yves, complète le trio de gars en 67. Les enfants prennent vite le plus haut rang dans les priorités. Ainsi pour aider les problèmes d’allergies de Luc, on décide d’acheter un chalet sur une île de la baie Georgienne, en haut des lacs. Avec le frère de Rosita, Raphaël, on se bâtit un petit paradis que les enfants et beaucoup de visiteurs ont tellement apprécié. Le paradis profitera aussi aux six petits-enfants car il n’y a que quelques années que l’on s’en est départi. Luc a trois filles, Claude a un fils et Yves a un garçon et une fille.
Rosita passera vingt-cinq années à l’école Ste-Croix. Elle fera l’inauguration du premier jardin d’enfance. On alterne les groupes; un jour il y a vingt-six petits et le lendemain, vingt-cinq. On se souvient de beaux projets collaboratifs comme celui de l’érable où on transforme le gymnase en érablière. Le jeune enseignant, Robert Robitaille, amène sa guitare et met de l’entrain dans la cabane. Augustin se plaît à enseigner à sa façon. Sa fibre rebelle le guide à développer ses propres méthodes d’apprentissage. Il fait faire du théâtre à ses jeunes pour contrer le stress d’un curriculum aride. L’inspecteur Gauthier repartira avec dix-neuf de ses méthodes qu’il trouve innovantes et efficaces.
Les règlements ne cessent de se resserrer et étouffés par ceux-ci, Augustin décide de quitter l’enseignement en 1975. Avec son beau-père et ses deux beaux-frères, ils forment les Odd Jobbers. Sa trigonométrie s’est alors avérée très utile pour les plans de construction.
Après vingt-cinq ans d’enseignement à Ste-Croix, la carrière s’oriente vers la direction pour Rosita. D’abord à l’école St-Patrick de Perkinsfield où elle sera l’adjointe de Roméo Marchand. C’est là qu’elle occupera son premier poste de direction. Pour se qualifier, il faudra sacrifier de belles semaines d’été pour étudier à Sudbury et à Ottawa.
Parallèlement à la vie professionnelle et familiale, on ajoute toute une implication communautaire. Rosita s’implique dans le comité de la salle paroissiale. Vers la fin des 70, les soupers de pâtés au poulet et les veillées de Jour de l’an c’étaient énorme. Elle y était quand le poulet a suri à la suite d’un problème de frigo et qu’il a fallu tout recommencer la préparation pour servir des centaines d’assiettes.
Augustin, redevenu ouvrier, n’a pas hésité à donner beaucoup de temps à rénover l’église. C’était une époque où les gens donnaient du temps sans le compter. Il y avait avec Augustin, des Fred Mullie, Louis Maheu et combien d’autres qui, pour le bien de leur communauté se retroussaient les manches pendant des mois! C’est bien de s’en souvenir car on ne verra plus jamais un tel dévouement.
Augustin a aussi mis son grain de sel dans le dossier de l’École de la Résistance. Après la Patente, comment passer à côté de cet événement marquant. Il faisait partie du Conseil consultatif de langue française (CCLF) qui parlait dans le vide à l’intérieur du Conseil anglophone. Augustin a conseillé sa dissolution quand l’École de la Résistance est devenue la seule voie et voix qui se ferait entendre. Leur fils Claude a fréquenté cette école légendaire.
Rosita, elle, s’est impliqué dans l’A.E.F.O. pour laquelle elle a été présidente régionale pour un an. Elle voulait contribuer à l’amélioration des conditions de travail dans le milieu scolaire. Pour reprendre son trajet professionnel, après Perkinsfield elle devient adjointe du directeur Ronald Ayotte à l’école Frère-André de Barrie. C’est l’époque où Frère-André cohabite avec St-Monica’s.
Le voyage Lafontaine, Barrie ne l’a pas embêtée. C’était un rare moment de paix et de décompression. Malgré tout, elle n’était pas fâchée de prendre la barre de l’école St-Louis de 1986 à 1994 où elle terminera sa carrière.
Retraite ou pas, on n’arrête pas de telle force de la nature comme on veut! Ce temps lui permet de s’impliquer dans les droits aux services médicaux pour les francophones. C’est l’implication qui marque le plus sa carrière bénévole. On ne s’y amuse pas beaucoup quand on est la seule francophone avec onze anglophones. La longue suite d’implication passe par le comité des services en français de l’Hôpital de Penetanguishene qui doit négocier l’amalgamation avec Midland. Les négociations pour des services en français à Waypoint. Rosita a siégé sur le Conseil régional de santé du comté de Simcoe et a participé à la mise en œuvre des RLISS (réseaux locaux de l’intégration des services en santé). Cette implication l’a occupée et préoccupée jusqu’à cinq ans passés.
Peu de temps après sa retraite, Rosita qui ne réussit pas vraiment à ralentir le moteur, nourrit le fantasme d’avoir un lieu de paix, où on pourrait étendre les photos sur une table et les laissées là, où l’entretien serait minime et, au besoin, où elle pourrait bouder en toute quiétude. Les Desroches trouvent l’endroit de rêve à Magnetawan sur un terrain boisé avec un petit ruisseau qui le traverse. Les aventuriers choisissent ce dépaysement où la nature diffère de la baie Georgienne. La cabane pour bouder est montée et tant qu’à y être, pourquoi pas un chalet pour toute la famille.
Une tragédie viendra troubler la famille en 2004 quand l’épouse de Luc décède subitement. Trois petites, toutes jeunes, perdent leur maman. La petite Julie n’a que cinq mois. Les grands-parents seront présents dans toutes les étapes de la vie de Rosalie, Natalie et Julie qui habitent tout près. Ce chalet de Magnetawan, les filles y sont attachées puisque grand-papa les a impliquées dans la construction. Toutes petites elles maniaient marteaux et tournevis.
Augustin, après sa retraite de la construction s’est consacré à sa passion : la lecture et la réflexion. C’est un penseur qui partage d’ailleurs un brin de ses connaissances dans le Goût de vivre. La spiritualité et la philosophie sont son dada. Il a, depuis l’enfance, cette tendance à chercher la vérité qui se cache derrière une religion astreignante. D’ailleurs, alors que les enfants étaient encore petits, il a osé confronter l’autorité suprême du géant Père Marchildon. Il fallait du courage pour ensuite subir le sermon de quarante minutes à dénoncer ces effrontés dont le petit chef en haut. Augustin était assis en haut dans le jubé.
Et le jour se couche sur cette discussion de quatre heures qui n’effleure que la pointe de l’iceberg d’une vie débordante. Le couple, tricoté serré de plus de soixante ans de vie commune, dégage un respect immense de l’un pour l’autre. Nous leur témoignons ce même respect garni de gratitude.
Dans la photo on aperçoit Rosita et Augustin Desroches lors d’une croisière dans les Caraïbes au début des années 1990.